Point de vue sur : La réforme du Bac et la formation scientifique
Préparées principalement sur la base du rapport Mathiot, la reforme du bac et les modifications portant sur les dernières années de lycée (notamment la suppression des filières) ont été présentées par le ministre de l’éducation nationale pour être mises en œuvre dans les années à venir. La situation actuelle étant clairement non satisfaisante, cette réforme est intéressante par certains de ses aspects mais elle montre un affaiblissement préoccupant de l’enseignement des sciences. Ainsi, dès la classe de première, les élèves peuvent s’affranchir de cet enseignement qui ne fait plus partie du tronc commun et reste optionnel au même titre que les arts, l’écologie, l’histoire…Encore heureux que cette réforme n’ait pas touché la classe de seconde protégeant l’enseignement scientifique jusqu’à ce niveau.
Cette réforme a donné lieu à des interventions, notamment des académies des sciences et des technologies mais aussi à des échanges psychédéliques dans les media sur l’intérêt ou l’utilité des mathématiques. La presse a porté des jugements abrupts sur la victoire de la philosophie sur les mathématiques ou sur le maintien de l’exception française dans l’enseignement de la philo au lycée.
Ces réactions montrent que contrairement à ce qui se passe dans de nombreux pays, l’enseignement scientifique « fait peur aux Français », voire leur donne des complexes, qu’ils soient de formation littéraire (au sens large), élèves de collège et lycée, parents mais aussi maitres de l’enseignement primaire, qui sont à plus de 70% issus des disciplines « littéraires ou autres sciences sociales ». A ce constat s’ajoute l’épouvantail que représentent les classes préparatoires scientifiques jugées « chères, sélectives et sises uniquement à Paris » ce qui est tout simplement faux. Dans ces conditions, n’y aurait il pas une pointe de démagogie dans l’écriture de la réforme ?
L’union des professeurs de physique et de chimie a conduit une étude dont les résultats sont synthétisés par un graphique démonstratif du déséquilibre entre les futures formations littéraire et scientifique. Un élève de terminale qui choisit une filière à vocation littéraire peut consacrer jusqu’à 81% de son temps d’études à ces enseignements. Celui ou celle qui se destine à un enseignement scientifique, exploitant toutes les possibilités d’étudier les sciences ne peut y consacrer que 48% (53% avec les cours facultatifs), les lettres et humanités lui étant imposées pour 41% de son temps d’études.
Outre ce déséquilibre intolérable, ces chiffres traduisent l’incompréhension (volontaire ou non) du processus de transmission du savoir en sciences. Passer de y=ax+b aux équations aux dérivées partielles demande un cheminement long et régulier. Sauf dans le cas de quelques génies, il faut un entrainement et un apprentissage qui peut être à la portée de presque tout le monde à condition de prendre son temps et d’ancrer les différentes étapes de la connaissance et du raisonnement. Il en est de même en physique, en informatique, en automatique, en chimie… !
La réforme est donc clairement faite pour valoriser les sciences humaines et sociales au détriment des autres domaines. Certes la philosophie et les langues anciennes peuvent être formatrices pour l'esprit mais cette caractéristique ne peut être déniée à l’enseignement des matières scientifiques que par ceux qui ne l’ont jamais suivi. Pourquoi la philo disposerait-elle d'une telle prééminence ? Pourquoi le tronc commun, à partir d'un certain niveau, n'inclurait-il plus aucune discipline scientifique ? La culture des élèves du XXIème siècle qui en seront les acteurs ne devrait-elle donc rien à la science ?
Certains feront ressortir que les sciences seront présentes par le biais des cours d’«humanités du numérique et des sciences ». Rien que ce titre est une innovation risquée . Quelles compétences devront avoir les enseignants? Quels seront les objectifs et les programmes ? Ces cours permettront au mieux de donner un éclairage sur des sujets en nombre limité mais on peut craindre qu’ils ne se transforment en discussions « du café du commerce » sur l’origine de l’homme, le Big Bang, la matière noire…
On nous dit que cette réforme doit aplanir les inégalités sociales. Rien ne le prouve et au contraire cette affirmation est douteuse car pour des élèves venant de familles sans un substrat culturel assez étendu il sera plus aisé avec des méthodes bien expliquées, de résoudre une équation du second degré ou d’étudier une fonction que d'analyser la pensée de Platon ou de Kant
La réforme ne sera pas plus égalitaire filles/garçons. Face à de tels programmes, les filles auront encore plus de mal à se convaincre que les options scientifiques les concernent au même titre que les garçons. Et, compte tenu du poids des stéréotypes, entre une option "arts" et une option physique-chimie, nombreuses seront celles qui choisiront la première.
La France souffre déjà d’un déficit d’ingénieurs et d’un manque de scientifiques. La dégradation de cette situation mettra en péril notre économie. Car après tout où se situe la richesse d’un pays si ce n’est dans sa capacité industrielle et dans les services. Certes le rayonnement culturel est important mais il n’a que peu d’influence sur la balance commerciale ! Or pour construire des avions, faire des ponts…il faut de l’innovation et de la recherche scientifique, une aptitude à l’industrialisation des prototypes, un outil de production, une force de vente, un système de gestion financier et des risques…. Il faut donc des ingénieurs, des techniciens, des chercheurs, des vendeurs, des spécialistes de gestion financière…Dans les services aussi il faut des spécialistes de formation scientifique. Développer un modèle interne dans une banque, demande la maîtrise de processus hautement qualifiés en statistiques, simulations… . Notre richesse, notre croissance, notre compétitivité et donc notre vie quotidienne dépendent de notre capacité à former à l’origine et tout au long de leur carrière des scientifiques en quantité suffisante.
Si nous voulons développer l'appétit pour les sciences et les technologies et former des citoyens à appréhender les questions complexes du monde actuel (environnement et climat, biologie et génétique, IA, origine de l'univers, etc), en évitant les superstitions et les fondamentalismes,
Si nous voulons permettre à celles et ceux qui le voudront et le pourront d'acquérir les bases solides pour se lancer dans l'innovation et la création d'entreprises de haute technologie ou pour contribuer à résoudre les problèmes essentiels de notre pays (création d'emplois, balance commerciale, etc.) et rester dans la course au plan scientifique,
Si nous voulons éviter d’aller chercher à l’étranger les spécialistes des sciences dont nous manquons et en contre partie de gonfler les listes de chômeurs avec des bataillons d’étudiants orientés trop tôt vers des carrières littéraires, sans possibilités de rattrapage,
Alors il faut revoir certains points de cette réforme et donner à l’enseignement scientifique une place en adéquation avec les perspectives ouvertes par l’évolution des connaissances sur notre monde et sur son environnement. D’autres pays l’ont fait, il serait regrettable que « l’exception française » se traduise par une cécité frileuse.
Paris le 23 février 2018 , Luc UZAN
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